dimanche 27 juin 2010

Brise Marine, Mallarmé







Brise Marine


La chair est triste, hélas! et j'ai lu tous les livres.
Fuir! là-bas fuir! Je sens que des oiseaux sont ivres
D'être parmi l'écume inconnue et les cieux!
Rien, ni les vieux jardins reflétés par les yeux
Ne retiendra ce coeur qui dans la mer se trempe
O nuits! ni la clarté déserte de ma lampe
Sur le vide papier que la blancheur défend
Et ni la jeune femme allaitant son enfant.
Je partirai! Steamer balançant ta mâture,
Lève l'ancre pour une exotique nature!
Un Ennui, désolé par les cruels espoirs,
Croit encore à l'adieu suprême des mouchoirs!
Et, peut-être, les mâts, invitant les orages
Sont-ils de ceux qu'un vent penche sur les naufrages
Perdus, sans mâts, sans mâts, ni fertiles îlots...
Mais, ô mon coeur, entends le chant des matelots!

Stéphane Mallarmé




lundi 14 juin 2010

Larry Clark, Tulsa, shootée l'Amérique.



LARRY CLARK « TULSA, 1963-1971 »


Puissance
« J'ai commencé à me shooter aux amphétamines à 16 ans. Je me suis shooté tous les jours, pendant trois ans, avec des copains, puis j'ai quitté la ville mais je suis revenu. Une fois que l'aiguille est rentrée, elle ne ressort plus. " Larry Clark, Tulsa, 1971

Chaleur
Larry
Larry Clark.
Larry Clark, 19 ans.
Larry Clark, 19 ans, né à Tulsa, Oklahoma en 1943.
Larry Clark, 19 ans, né à Tulsa, Oklahoma en 1943, se drogue avec ses amis.
Larry Clark, 19 ans, né à Tulsa, Oklahoma en 1943, se drogue avec ses amis et commence à faire de la photographie.
Larry Clark, 19 ans, né à Tulsa, Oklahoma en 1943, se drogue avec ses amis et commence à faire de la photographie ; des photographies sans concession sur une génération américaine au crépuscule, perdue entre la drogue, le sexe et la violence.
Elle en a besoin.

Excitation intellectuelle
Larry
Larry Clark.

Larry Clark, 28 ans.
Larry Clark, 28 ans, vit et travaille à New-York.
Larry Clark, 28 ans, vit et travaille à New-York, publie sa première monographie en 1971 sous le titre de Tulsa.
Larry Clark, 28 ans, vit et travaille à New-York, publie sa première monographie en 1971 sous le titre de Tulsa.; journal intimiste, profond, il fera l’effet d’un acte terroriste dans les milieux artistiques, scandalisés ou fascinés devant les déboires sulfureux et provocant des enfants secrets de l’Amérique.
Mais elle en veut encore.



Hypertension artérielle
Larry
Larry Clark.
Larry Clark, 40 ans.
Larry Clark, 40 ans, est photographe américain.
Larry Clark, 40 ans, est photographe américain, il vient d’achever son second chef d’œuvre, «Teenage Lust. »
Larry Clark, 40 ans, est photographe américain, il vient d’achever son second chef d’œuvre, «Teenage Lust » ; sur les bases artistiques encore fumantes de Tulsa, il y expose avec une froideur empathique des centaines de clichés dépeignant la sexualité des adolescents de la nation Yankee.
Elle reste en manque.


Stimulations nerveuses


Larry
Larry Clark.
Larry Clark, toujours.
Larry Clark, toujours, fait référence
Larry Clark, toujours, fait référence, et installe le long du chemin sa vision d’un monde.
Larry Clark, toujours, fait référence, installe le long du chemin sa vision d’un monde ; semant dans les champs artistiques des graines terriblement fertiles, influençant notamment les photographes d’une autre Amérique comme Nan Goldin (The Ballad of Sexual Dependency), ou plus récemment Terry Richardson.
Est-ce suffisant ?

Hyperactivité sexuelle
Larry
Larry Clark.
Larry Clark, 52 ans.
Larry Clark, 52 ans, devient réalisateur.
Larry Clark, 52 ans, devient réalisateur, et Kids est une ultime conscience visuelle et esthétique des secrets de l’adolescence.
Larry Clark, 52 ans, devient réalisateur, et Kids est une ultime conscience visuelle et esthétique des secrets de l’adolescence ; faisant sensation à Cannes et à Sundance, censuré aux USA, il met en volume toute l’œuvre de Clark, léche les origines de Tulsa, et vous envoie une claque en pleine gueule.
L’envie est toujours la, elle frappe encore et toujours.



dimanche 13 juin 2010

Carson McCullers, la ballade mélancolique...



La phrase se pose comme un début de sonate. De lents mouvements se mettent en branle, doucement, mais vous n'en savez rien.
Les thèmes s'agglutinent, et chaque mot complète la touche de l'autre. Rien n'est essentiel, et pourtant tout s'entremêle.

Carson McCullers n'aura pas tout perdu de son destin manqué de virtuose. Sa santé fragile détourne son talent du piano à la feuille, de la croche au stylo. La déviation n'est pas si longue. De ses interminables séances de travail, elle garde le courage laborieux, l'envie de tordre et de retordre cent fois la partie, jusqu'à en tirer l'éclat, la résonance. De son amour des sons, elle garde le sens des harmonies et inocule aux mots une couleur phosphorescente, insidieuse. Vous croyez lire. La virtuose écrit comme on compose, maquillant la syncope, déguisant le vibrato. Vous croyez lire, vous résonnez.

Rarement l'histoire aura si peu compté. Vous suivez le rythme, peu ou prou, vous suivez la phrase, entêtante. L'histoire s'ouvre, pour se fermer presque aussitôt. Les nouvelles de Carson ne sont pas des histoires, ce sont des partitions déchirées. Et partout le même thème, partout cette litanie entêtante, déclinée, déployée de tons à tons. Ne résonne que cette même impression : des êtres déformés, écorchés dans un monde qui se dilate, se rétracte en cycle et en écho. La mélancolie berce les lignes. Carson McCullers nous livre ses ballades tristes, ses nouvelles aux reflets de crépuscule. Il y a de l'amour, et quelque chose qui résonne, comme une sonate que l'on achève.

***

La ville même est désolée ; il n'y a guère que la filature, des maisons de deux pièces pour les ouvriers, quelques pêchers, une église avec deux vitraux de couleur, et une grand-rue misérable qui n'a pas cent yards de long. Les fermiers des environs s'y retrouvent chaque samedi pour se voir et parler affaires. Le reste du temps, la ville est triste, solitaire, un endroit loin de tout, en marge du monde.
Carson McCullers, La ballade du café triste, 1951


dimanche 6 juin 2010

Gil Scott-Heron, poésie, musique et rédemption



Révolutionnaire sonore du XXe siècle, poète acoustique, précurseur du « spoken word soul » dans les années 60 qui influencera quelques années plus tard les débuts du rap et du hip hop, Gil Scott-Heron était dans les années 70-80 l’un des artistes qui résumait au mieux la condition noire américaine, de part sa verve, son activisme lyrique, et ses positions politiques.

Malheureusement la mort de sa mère, la consommation de cocaïne et de crack, l’alcool, et l’univers carcéral le plongèrent dans un cercle vicieux qui musela durant une décennie bien sombre cette icône de la musique.

Aujourd’hui resurgi d’entre les ombres après avoir écumé les tribulations que peuvent être celles de la vie d’un homme, il nous livre avec I’m new here une ultime perle musicale, intimiste et noire, qui semble épouser sous un certain brouillard de bas fonds les formes ambiguës et charnelles de la rédemption.
Cet album que certaines critiques ont qualifié de blues « post-modern » ne dure que trente minutes, alternant des passages de pure poésie et morceaux musicaux. Il rejoint sous beaucoup d’aspects les premiers enregistrements de l’artiste, mais ce dernier ne s’adresse plus aux foules, il ne s’adresse plus à la fierté noire, il s’adresse à lui-même, à son âme brisée par le désert.

Le vrai tour de force de cette production est en fait de mettre ce vétéran américain en proie à la délivrance dans un univers musical tantôt d’avant-garde, de sonorité moderne, tantôt de pure soul où chancelant du haut de ses 60 printemps, Gil Scott-Heron frappe encore le fond de l’oreille d’une rhétorique maîtrisée, et toujours acérée.

« Me and the Devil » cristallise en ce sens cette nouvelle démarche musicale. Trois minutes et trente trois secondes, soit un demi-Lucifer, d’une ambiance sombre et angoissante, faite de chaînes et de barreaux entrechoqués, où la voix de Gil Scott Heron rencontre la magie du clavier de Damon Albarn (Gorillaz, The Good, the Bad and The Queen) sur un papier peint par les tribulations d’un junkie.

Concrètement, cet album est un objet sonore qui vibre d’une manière unique et sur lequel on mérite de s’y attarder tant l’univers musical est humain, poignant. Si l’artiste y trouve ici une manière de se repentir d’un passé sombre et sans fierté, il trouve aussi le temps d’expliquer à une jeune génération que les monstres sacrés ne meurent

jamais et ont encore bien des leçons à donner tant sur le plan du salut musical que sur la vie en général.




Let the poet speak...