mercredi 24 février 2010

La Route ou l'apocalypse de l'âme humaine


Taillée dans un nid de tempêtes, La route de McCarthy est sûrement née par un jour de grand vent.

Quand le ciel reste obscur et que l'on marche dans la rue, plié en deux, encapuchonné, prêt à se réfugier n'importe où, guettant le moindre brise-vent ou l'abri le plus proche. Vous riez dans le vent, c'est tellement drôle d'être "à contre-vent", de ne plus savoir comment avancer, faire marcher ses pieds. On est tellement loin de "l'homme" et du "petit". On n'a pas l'estomac démoli par la faim, le corps rongé par le froid, et l'esprit au bord du désespoir.

L'histoire, le comité ne vous en dira guère plus que ceci : imaginez le Radeau de la Méduse, faites-en un livre, ajoutez-y un enfant et une nuée de cauchemars vivants autour de vous.
Alors seulement peut-être, vous vous approcherez de "La route". Et notez ceci : avant de partir, Dieu et Satan ont fermé boutique, emportant le Bon, le Bien, le Juste et le Mal dans leur dernier baluchon. Voilà le tableau, rapidement brossé, de ce à quoi il faut vous attendre.

Au fil des pages, vous vous enfoncerez dans l'odyssée des deux derniers hommes errant sur une terre qui n'est plus, mais sur laquelle il faut survivre, allez savoir pourquoi.
D'un côté, l'homme, dernier de son espèce, qui veut dessiner sa dernière illusion avant de s'éteindre. Alors il esquisse. Il s'agit de laisser sur terre le dernier "gardien du feu", le dernier vestige de ce qui s'appelait avant l'humanité. Et l'homme qui s'illusionne et raconte des histoires pour faire passer les cauchemars. De l'autre côté, il y a l'enfant. Prophète lucide, presque muet, mais qui possède les dernières clés de la parole, de la mémoire, de la culture. Deux derniers hommes dans un monde de ténèbres éternels.

Le style de McCarthy vous arrachera les yeux. Les landes de mort envahissent les phrases, taillées dans des restes de tôles rouillées. Les mots sont précis et se suivent par deux ou trois, claudiquants et farouches comme les personnages. Perdus dans de petits paragraphes secs. Poèmes en prose de mort et de la faim. Partout des phrases pleines de cendre, sans bavardage, bouleversantes d'aridité. Et les quelques mots échangés entre les "personnages". Sans jamais vouloir s'appeler dialogue, ils ressemblent aux derniers galimatias d'une humanité qui oublie la parole, mais la célèbre une dernière fois, avant de la voir s'éteindre à jamais. Pas de bavardage. Pas de longs échanges. Toujours ces kilomètres qui s'enchaînent sur des routes de cauchemars et de mirages. On avance dans le livre comme ils avancent vers le sud, sans trop savoir pourquoi, mais parce qu'il le faut. Car l'apocalypse est une "révélation", l'auteur, en sondant les recoins de l'âme humaine, nous fait vivre dans ses mots les derniers jours du monde. Et l'homme, l'insoutenable cruauté de l'homme. Certaines scènes, décrites avec ces phrases qui coulent, avancent, rapides, trottantes, vous soulèvent le coeur, vous retourneront la tête. Et vous y croirez, car vous saurez que c'est possible. Ecrites simplement, vous y verrez le visage odieux de la dernière humanité qui s'écorche, se dévore et se consume. Des créatures pour qui les histoires, les mots, les valeurs ne sont plus rien, pas même de rupestres peintures. Le monde les a balayés, et n'a laissé partout que de la cendre.

Oeuvre d'un nouveau millénaire, avec ses peurs, ses angoisses, la projection de la fin, La Route, loin des Anciens, des mondes bucoliques, des rêves de cocagne, nous promet une fin sans Dieu, sans paradis et sans enfer, car plus rien n'existe, sinon la cendre, la pluie, le froid. McCarthy, sûr de sa vision, nous offre le paysage d'un monde, à venir.

La fin vous étreint, vous noue le ventre, vous serre la gorge. Il n'y a rien qu'on ne pressente déjà, dès les premiers mots, rien qu'on ne prévoie depuis la première page. Mais on a l'impression en fermant le livre de perdre sa propre histoire, sa propre fin, son propre monde, son propre père, sa propre vie. Le sanglot monte ciller vos paupières, car vous perdez un monde qui pourra bientôt devenir le vôtre.


samedi 20 février 2010

"Toutes les femmes sont..."



Alfred de Musset.
Poète, dramaturge et mémorialiste de la jeunesse de son temps. Musset, l'homme du "Mal du Siècle" (1). Si la postérité n'a principalement retenu de lui que sa Confession d'un enfant du Siècle et quelques une de ses pièces (Les Caprices de Marianne, On ne badine pas avec l'amour, Lorenzaccio), sa poésie - malgré toute la critique de Rimbaud le Voyant (lui reprochant de n'avoir pas assez fait exploser son génie) - reste une oeuvre à découvrir et à redécouvrir.

Sensible, élégiaque, affûtée par les sentiments, aigüe, pleine de cris, de sanglots et de rêves un peu fous, elle livre le portrait intérieur de l'homme romantique. Toujours adolescent, homme enfant, aimanté par le besoin d'un amour véritable et incommensurable. Et les femmes... amies et amantes, maitresses et mères, Muses. Elles sont pour Musset le premier sujet poétique.

Lisez les Nuits, le poème à Ninon, l'élégie bouleversante de Lucie... trouvez-vous un petit recueil des Poésies Nouvelles et vous sentirez toute l'amplitude de la palpitation romantique.

Parfois mutin, parfois chagrin, Musset est un poète qui sait aussi jouer des formes et des tons, installer des clins d'oeil, piquer de sa rime des caractères fats et vaniteux. (Avouons que lui même n'en est pas toujours exempt)

Le comité vous présente, non pas son poème le plus beau, encore moins son poème le plus célèbre, mais l'une de ses pièces les plus simples, de celles qui vous restent dans la tête parce qu'elles semblent vous sourire (du haut de leur belle mauvaise foi). On y sent l'amant rejeté, le débauché trahis, un peu amer. Et en filigrane la femme courtisane et courtisé, libre et impératrice en son royaume... pour le plus grand malheur d'Alfred.

A Mademoiselle

Oui, femme, quoi qu'on puisse dire
Vous avez le fatal pouvoir
De nous jeter par un sourire
Dans l'ivresse ou le désespoir.

Oui, deux mots, le silence même,
Un regard distrait ou moqueur,
Peuvent donner à qui vous aime
Un coup de poignard dans le coeur.

Oui, votre orgueil doit être immense,
Car, grâce à notre lâcheté,
Rien n'égale votre puissance,
Sinon, votre fragilité.

Mais toute puissance sur terre
Meurt quand l'abus en est trop grand,
Et qui sait souffrir et se taire
S'éloigne de vous en pleurant.

Quel que soit le mal qu'il endure,
Son triste sort est le plus beau.
J'aime encore mieux notre torture
Que votre métier de bourreau.

Alfred de Musset,

(1) Voir la Confession d'un enfant du siècle

dimanche 14 février 2010

Philadelphia's Story : l'autre visage de la comédie sociale


Il y a des dimanches froids et pluvieux où l'on ne veut absolument pas innover. Le café fumant trône sur la table, on pense encore à la tiédeur de la couette. Alors oui, mille fois fois, en ce dimanche, on va faire dans le classique.

Après un passage fugace dans les rayonnages de sa vidéothèque, on s'affale satisfait dans son canapé, sûr de passer un bon moment. Philadelphia's Story
. Rien que l'avalanche de noms est une bonne caution: Cukor, Mankiewicz aux manettes, et Hepburn, Cary Grant et James Stewart dans le meilleur de leur forme.

Certaines époques ont dépeint leur temps à grands coups de fresques sociales. Nous autres Francais nous enorgueillons d'avoir enfanté Zola & Balzac (entre autres). Il faut tout de même avouer que de l'autre côté de l'Atlantique, le genre est aussi bien porté de la plume à la pellicule. Entre la Jungle d'Upton Sinclair (le Germinal américain ayant ébranlé les classes en contribuant à d'importantes réformes politiques et sociales en faveur des ouvriers), la Pastorale américaine de Roth (autant de bons livres que la Cuillère vous conseille afin de traverser - avec bonheur - l'histoire américaine), défile une myriade d'oeuvres alliant la beauté créative et l'engagement moral. Au cinéma, n'en parlons pas, Chaplin à lui seul occupe le rayonnage...


Là où Cukor, & Mankiewicz apportent leur pierre, c'est dans l'alliance (géniale) entre la comédie, la fresque sociale posh, et un tableau de caractères digne de La Bruyère. Disons pour se mouiller un peu qu'en ce qui concerne les 40's, Citizen Kane est à l'ambition et à la ville ce que Philadelphia's Story est aux privilèges de classe et à la vanité.

Pourquoi aimer, regarder et rererereregarder ce film?
Sans se lancer dans un grand synopsis, le film retrace les périgrinations morales de personnages engoncés dans le luxe des nantis de l'upper class américaine. Loin des misères des villes, l'action se déroule dans un locus amoenus pesant, digne du monde carollien d'Alice. Comme un microcosme intemporel où la prospérité cache le malaise d'une condition vaine, vous jonglerez entre la comédie légère (vous aurez l'impression d'y ressentir un peu de Marivaux, un peu de Vaudeville...), et la profondeur de la peinture sociale. Après le classique "plongée dans les bas fonds des classes" à la Oliver Twist, vous suivrez ici l'introduction de la lower middle class intellectuelle dans un univers de luxe et des fastes... ouvertement scandaleux pour l'Amérique encore choquée par 1929.

Au début, tout semble grossier, caricatural: de l'idéaliste raté au self-made-man industrialopoliticien et arriviste, de la grande dame drapée dans sa vanité, au dom juan alcoolique, tout y passe, tant est si bien, que noyé dans les préjugés, on se demande à un moment du film si ce classique n'est pas une franche arnaque...


Puis tout se décante, finement, avec magie hollywoodienne made in Metro Goldwyn Mayer, la lutte des classes s'abolit le temps d'un bal grâce à l'alcool catalyseur, le rapprochement des êtres et l'envolée de sentiments humanistes. Certaines scènes semblent même pour l'époque diablement croustillantes (sensuelles ou moralement indécentes pour la pudibonde Amérique). Mais quoi qu'il se passe, les acteurs portent le film jusqu'à la fin, avec un brio qui nourrit la légende de ces étoiles (il paraitrait même que toutes les scènes de ce film auraient été bouclées en une seule prise...) Chapeau Gary, Katharine et James! (je vous entends critiquer là ! Soyons naifs, il est bon de croire aux légendes)


La comédie, bavarde comme une pièce de théâtre (s'en était une...), élève avec élégance les dialogues au rang de personnage. Cary Grant, Hepburn, et James Stewart signent l'un de leur plus beaux rôles, tant et si bien que le film devient vite le favori de ces journées trop froides pour sortir son nez dehors.
En résumé, la magie opère, l'interprétation est magistrale, les personnages vous énervent, vous ravissent, la belle mayonnaise que voici, faisant votre frileux dimanche une journée particulièrement douillette...

dimanche 7 février 2010

Le Romantisme, cet agaçant pleurnichard...




Il y a des mouvements comme ça, qui restent gravés dans votre mémoire adolescente... Les Lumières - pour la verve de Voltaire - , le réalisme, le naturalisme - pour les grands tableaux de Zola, Maupassant & Co, dessinés à forts coups de plume et de tomes... Puis d'autres, dont le souvenir reste vivace et incisif... pour leur pesante niaiserie, pour leur scolaire et fatigante dissection.

RO-MAN-TISME. Usé et réutilisé à souhait, qu'est-il donc, ce mot ? Jadis feu mouvement unifié par le seul souffle des douleurs, le mot se balade aujourd'hui de-ci de-là sans écho ni signification... Exemple
(recherche Google Images: romantisme)


Passons...

Intime, élégiaque, sublime de sensibilité... et tellement souvent empreint de nianiannian, de misérabilisme égoïste, d'autoflagellation grossière, de phrases gonflées retombant sur nos cahiers avec grandiloquence pompeuse et force fatuité.

Et pourtant... pourtant.
... C'est peut être le mouvement littéraire qui vous bouleverse le plus, quand à quinze ans, retourné par un coeur qui s'anime, vous tombez sur ces auteurs qui ont écrit la douleur de l'âme, l'implosion des coeurs.

Essai: du romantisme...

"Coeurs amollis, âmes déréglées, sentiments écartelés aux mille vents des sensations, des tropismes, des attirances, le romantisme a quelque chose de beau, de niais, d'infiniment touchant.

La souffrance sensitive, la fulgurance spirituelle, évocatrice jusqu'au déchirement du mot, laissent dans les pages des cris de malheurs, des cascades de première personne, des adjectifs à rallonge et des sanglots d'amours incompris.

Le pur romantisme est une malédiction dont peu ont goûté l'âpre existence... D'où ce fangeux mouvement de braillards écrivains se réclamant du Mal du Siècle (le vrai), d'où la rareté des éclairs littéraires, d'où la postérité de ce mouvement passé dans les âges sans élever de digne descendance.

Puéril et agaçant romantisme, comme un son désaccordé que l'on veut parfois faire taire. Comme les Classiques, face à la montée du nouveau genre, voilà le romantisme désabusé, coincé dans son monde fait de beauté, de Muses, et de sentiments, et dont on viole le mot, paré et déguisé par le trivial.

Le romantisme, (le vrai), celui qui étincèle dans nos ternes manuels scolaires, c'est celui qui tient en quelques livres et quelques auteurs sur un petit bout d'étagère. C'est une façon de souffrir l'existence et d'écrire les atermoiements du coeur, sans niaiserie, sans artifice, avec la sincérité et la lucidité d'une âme malheureuse.

Et certains soirs, quand le spleen et la mélancolie vous envahissent, vous retrouvez au hasard une Nuit de Musset. Amolli par le soir qui descend sur votre vie, vous sentirez poindre au bout d'une page, de quelques vers, de quelques mots, le sentiment étrange d'une palpitation irrégulière... et vous vous surprenez au bord des larmes, comme un adolescent qui a aimé.

Entre le suranné et l'introspection égotiste, le romantisme a quelque chose qui tient du bouleversement des coeurs, et qui le rend à tout jamais moderne, et magnifique."


Signé le Comité de la Cuillère romantique




Source:

- Caspar David Friedrich, A monk by the sea
- Google et ses trésors:
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