vendredi 24 septembre 2010

Firmin, arnaque mercatique pour déception littéraire

Lorsque Firmin est sorti, c'était en 2009, les 4 par 3 du métro lançaient cette promesse alléchante et insolente "Si lire est ton plaisir et ton destin, ce livre a été écrit pour toi". C'était signé de l'écrivain italien Alessandro Baricco, un illustre inconnu pour beaucoup de gens, mais dont la phrase avait su illuminer les yeux gourmands des dévoreurs de livres. Tout le monde ou presque a parlé de ce livre : émission, articles, partout partout s'affichait le petit rat à bonne bouille et à l'œil hagard.

Oui mais voilà, après l'émulation visuelle, les papilles excitées, les neurones en ébullition, le soufflet est retombé car une fois lue (mais pas dévorée), "l'autobiographie d'un grignoteur de livres" nous laisse largement sur notre faim, déçu, désappointé et ne sachant balancer entre l'amertume de "s'être fait ratisser" (pour ne pas dire pigeonner, Firminisons-nous), et l'agaçement d'un roman qui, par autosuffisance, illusion ou égarement, n'est pas allé aux bouts de son potentiel et de ses promesses.

Premier roman de Sam Savage, homme respectable, au CV et à la tête bien garnis, Firmin nous conte l'histoire d'un rat échoué dans le Boston déclinant des 60's. Petit être né parmi les Grands des rayonnages d'une librairie, il arpente, découvre et s'imagine, mélangeant rêve et réalité, histoires romanesques et quotidien fantasmé.
Etant donné ma réticience à me mettre en avant, il avait carte blanche quant à ma personnalité. Je pouvais être ce qu'il voulait, et j'ai vite compris que, quand il me regardait, il voyait surtout un mignon petit animal un peu idiot et clownesque, quelque chose approchant d'un très petit chien avec les dents en avant. Il n'avait pas la moindre idée de qui j'étais vraiment, de mon scandaleux cynisme, de mes penchant (bien que modérés) pour le vice, de mon génie emprunt de mélancolie ou du fait que j'avais lu plus de livres que lui. [...] Ai-je entendu un gloussement? Vous pensez peut-être que vous m'avez démasqué n'est-ce pas?

Si tu le dis Firmin.
Tout commence pourtant de la façon la plus séduisante et la plus originale qui soit ; les idées de Sam Firmin sont agréables et aiguisées ; les retournements, les projections, sensibles et ravissantes.
Oui mais voilà, rien ne va ni n'avance. On erre dans les pages et dans les chapitres comme comme un rat en peine, perdu dans des égouts littéraires et culturels.
Savage y convoque les grands livres, les classiques de la littérature, mais aussi tout le panthéon des auteurs, des acteurs, des standards musicaux américains, chanteurs et danseurs de comédies musicales ; les clins d'œil jetés à foison jonchent la pensée bavarde de Firmin, petit rat de rien. Car oui, le rat s'avère bien trop bavard. Unique énonciateur du livre, il déblatère et pérore laconiquement.

Si le style, précis, net parfois lumineux, ne participe en rien à cette berezina, il est dommage qu'un animal si sympathique finisse par agacer, non pas pour ce qu'il est, ce qu'il fait ou ce qu'il pense, mais parce qu'on l'a ignominieusement conduit des pièges narratifs et des apories verbales. Perdue dans les longueurs, trop étriquée dans ce roman presque sans personnage, sans paroles tierses et sans dialogue, la voix de Firmin tourne à l'infini, et l'on se lasse. L'impatience des grandes lignes serrées sans action, sans évènement, sans rien, nous plonge dans la pensée mélancolique de ce rat. Les effets sur la réception sont pour le coup réussis. A force de chercher à projeter le lecteur dans le monde onirique et mélancolique de Firmin, on finit par s'y ennuyer ferme.

Mais si l'on juge si sévèrement Firmin, ce n'est pas parce qu'il trône parmi les mauvais livres, loin de là, c'est surtout parce qu'il aurait pu aisément trouver sa place parmi les plus beaux, parmi les favoris de notre bibliothèque.
Firmin, c'est le rat sympathique qui nous aura un peu joué un mauvais tour. Il aurait pu y avoir un belle histoire de mots, un attachement particulier, mais comme dans toute relation, il s'avère que, parfois, cela capote. Firmin aura néanmoins eu le mérite de figurer et de matérialiser l'ennui et la mélancolie, à l'image du sublime livre de l'attente qu'est le Balcon en forêt de Julien Gracq (... que Firmin a sûrement trop lu). Peut-être est-on alors en droit d'accorder à notre petit rat tout notre pardon d'exigeant lecteur.

vendredi 17 septembre 2010

Benda Bilili : le miracle de la musique

Kinshasa, République Démocratique du Congo.

Tout commence il y a cinq ans lorsqu’au hasard d’une rue, deux passionnés de docu et de musiques urbaines tombent sous le charme d’un groupe de musiciens hors du commun. Ils sont là sur les trottoirs, sur leurs tonkars et leur fauteuil roulant customisé, entourés d’une foule de shégués, les gamins des rues. Le staff Benda Bilili. Papa Ricky, Coco, Juana, Theo Coude, et bientôt le petit Roger, 13 ans, parti de chez lui pour gagner sa vie. Presque tous, paraplégiques, handicapés, ils lancent dans la nuit chaude des airs de rumba congolaise aux paroles envoûtantes.

Ils utilisent les mots de leur réalité, de leur quotidien. Ils racontent les galères, la souffrance, la faim, mais surtout l’éternel espoir qu'ils trimballent dans leur vie, dans leur musique.

Des guitares rafistolées dont il ne reste parfois qu’une corde, des bouts de bois, d’une petite boîte de lait transformée à l’aide d’un fil sortent des sons prodigieux, entraînants. Le miracle de la musique qui vient de n’importe où, de n’importe quoi grâce au génie de quelques mélomanes à l’optimisme bouleversant.

Et malgré l’adversité, les difficultés quotidiennes, ils répètent, ils jouent, ils peaufinent leur musique dans le zoo de Kinshasa, jusqu’à croire en un album qui les sortira de la galère. Croire au miracle de la musique.

Des hommes dont le handicap s’efface peu à peu tant leur force éclate l’écran, leur humour incroyable, leur sagesse déconcertante ; les membres du staff nous invitent à les accompagner au-delà. Et sur leurs instruments de rien, ils composent des airs qui remuent les tripes et font danser les têtes.

Le film, miroir posé pendant cinq ans, résonne comme un conte véridique et formidable, filmé petite caméra au poing malgré les aléas, les revers et les péripéties, et dont on ne nous cache pas les ombres, tapies au second plan.

Aussi poignant qu’émouvant, le documentaire évite les écueils classiques du genre. Ni misérabilisme exotique, ni sentimentalisme facile, les images sont brutes, belles ; elles nous envoient ce qu’on ne nous montre, ce qu’on ne voit encore que trop rarement : un sublime message d’optimisme envoyé de l’Afrique à l’Afrique et au monde entier.


Film Annonce BENDA BILILI! envoyé par BendaBilili. - Regardez des web séries et des films.

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Benda Bilili, le film documentaire, sorti le 8 septembre 2010

Benda Bilili, Très très fort, album sorti en mars 2009

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Presse :

Libération : Un film hallucinant… un miracle. Un film qui dépote.

Les Inrockuptibles : L’histoire du groupe est édifiante, mais le film n’a pas besoin de l’être. […] ces images implacables sont arrachées au chaos, plutôt qu’à la compassion ou à la morale.

Le Monde : Ce formidable documentaire, (…) raconte (…) une success story aussi authentique que miraculeuse, qui vous soulève l’âme, vous fait danser le coeur, et vous fera même verser une petite larme, d’émotion et de joie mêlées.

Marianne : Une histoire (vraie) aussi prenante, énergisante que celle du Buena Vista Social Club de Wim Wenders (…).

Paris Match : Un film miraculeux à voir et à entendre.

TéléCinéobs : Petite communauté de dons Quichottes rêveurs et abîmés qui allient musique et bidouilles dans même un élan solidaire et salvateur. C'est aussi terrible que drôle et joyeux.

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Si avec tout ça, vous n’y courrez pas, le Comité de la Cuillère ne comprend pas ! A vos cinémas ! et bon dimanche !

dimanche 12 septembre 2010

Maupassant, polissons et cabotins

Cher Guy,

Assieds toi, oui prends ce tabouret! On va parler. Attends, attends, je te commande un bock, ça te va n'est-ce pas?
A la bonne heure! Pochardons-nous un tout petit peu. Allez qu'importe! de toute façon c'est dimanche!

Bon, je viens de relire un petit pan de ton œuvre - diable que tu es fécond ! Alors oui, j'ai parcouru les sempiternels Horla, Contes fantastiques et autres joyeusetés morbides, mais j'aimerais aussi que l'on reparle de toutes ces choses charmantes que tu as pondues. Bigre, ce n'est pas rien. Cette autre facette, brillante, joyeuse, mondaine et amoureuse est au moins aussi importante que la première! Et l'on en parle malheureusement pas assez. Pourtant cette petite pellicule cabotine recouvre plutôt bien ta bonne vieille carcasse obscure. Au diable les choses qui fâchent, je déteste froncer les sourcils.

Mon bon Guy, quel coquin tu fais! Tu es un vrai modèle. Que de facilité pour cueillir l'ivresse et faire sourire ces dames. Quel serin je fais, moi, quand je vois toute l'adresse et le génie que tu emploies, en artiste! Quelle énergie déployée pour festoyer, charmer, aimer, croquer ces portraits bruts et vigoureux!
Il y a les imbéciles dont on se moque bien, les canailles libertines, les veuves à la sève éveillée, les dandies de ministères, les cocottes, les cocus solennels, avec leur femme dans une pièce, riant, trinquant avec l'amant dont ils viennent chaleureusement de serrer la main. Et la maîtresse qui n'est jamais loin, dans une autre pièce, derrière un rideau, alanguie dans un fiacre, attendue dans la légendaire garçonnière de la rue des Martyrs.
D'ailleurs, quelle rue! Parlons en ! Dans chaque roman, dans chaque nouvelle, dans chaque récit, elle figure et trône. Quelle galerie des glaces! Quel défilé d'amants, que de maris désolés, de femmes en fièvre et de filles en affaire circulent dans cette étroite et petite rue! Ma foi, tu en as faits des embouteillages amoureux!

La conquête des femmes est la seule aventure exaltante dans la vie d'un homme.
Ah ! c'est dit! Cher Guy, tu as tout du chenapan fripon.

Derrière ces mots couvés, à demi montrés, quelle sensualité, quelle polissonnerie tu nous contes. Et je ne parle même pas des Contes grivois! J'aime tes sympathiques impudeurs littéraires qui suggèrent et dévoilent. Tes Récits parisiens en sont gorgés, ils en deviennent, du coup, particulièrement savoureux. Il y a cette bonne âme qui dans son Aventure parisienne, "doucement, rougissante comme une vierge" susurre à l'amant d'un soir "J'ai voulu connaître... le... le... vice". Il y a l'épouse du Souvenir, tyrannique avec l'époux, aguicheuse avec le passant flâneur. Renvoyant le pataud mari, s'arrêtant dans un cabaret de bord de route, et le narrateur d'oser "prendre un cabinet particulier". "Elle se grisa, ma foi, fort bien [...] fit toute sortes de folies... et même la plus grande de toutes". Et oui ! bonheur de l'inconnu qui passe!
Et dois-je parler des petits vieux d'Au Bois retrouvant la vigueur gauloise de leurs premiers printemps! Les parties dans les fougères! Ah mon cher Guy, tu mêles à l'audace la vérité d'un siècle et la vigueur d'une phrase éclatante. Alors santé! Trinquons au badinage!

On ne les connait vraiment pas assez, ces petites nouvelles serrées où fourmillent, certes les malheurs, mais aussi les mille amours d'une capitale pleine d'envie.

Cher Guy, vous êtes un maître! et tous les polissons et cabotins du monde bénissent chaque jour la vérité coquine que vous insufflez dans la vie de vos chapitres. Prenez les audaces de Duroy, les bonhommies de Forestier, et les minauderies d'une Madame de Marelle grisée par le champagne. Voyez les doux sourires de Madeleine. On frôle presque l'échangisme verbal dans ce quatuor plein de fougue "plongé dans un bain d'amour".
Et comme vous y allez, cher Guy!
"Les deux femmes, maintenant, en lançaient de roides. Mme de Marelle avec une audace naturelle qui ressemblait à une provocation. Mme Forestier avec une réserve charmante, une pudeur dans le ton, dans la voix, dans le sourire, dans toute l'allure, qui soulignait, en ayant l'air de les atténuer, les choses hardies qui sortaient de sa bouche". Longue vie à ces femmes, "un peu choquée[s] par la forme et pour la forme", qui, comme les liqueurs enivrantes, "versent dans les esprits excités un trouble plus lourd et plus chaud".

Merci cher Guy, nous autres, polissons et cabotins, te devons vraiment beaucoup.


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Références:
- Bel Ami
, chapitre 5
- Contes Grivois
- Récits Parisiens : Au Bois, Souvenir, Aventure Parisienne

Peintures:
Ingres, Une odalisque, 1867
Gervex, Rolla, 1878 (en référence au poème d'Alfred de Musset)