Belfast, années sombres.
La mosaïque est d'un camaïeu obscur. De la grisaille, de la misère, des quotidiens démembrés, des vies insipides. Des bombes, des attentats. Des actions terroristes, des groupes paramilitaires catholiques d'un côté, leurs jumeaux protestants de l'autre, l'IRA, l'UVF. Des cathos qui veulent buter des protestants car des protestants veulent buter des catholiques parce que des catholiques veul... Bref. Ça c'est l'histoire. Et puis à côté, un peu oubliée, il y a la vie, dans Belfast.
Justement, voilà un catho et un protestant. Jake et Chuckie. Mais eux, plutôt que d'éclater des rotules chez ceux d'en face, ils préfèrent écluser des pintes, voir des potes, trouver l'amour. On est d'accord, ça peu sembler fadasse. Jake aurait dit insipide. Des personnages qui cherchent à vivre une vie bien banale dans un ville pas banale, ça fait une histoire qu'on qualifiera de tout, sauf de banale. Chuckie serait allé au pub plutôt que de lire cet article bizarre (il serait même déjà dans le pub).
Reprenons. Il y a des potes. Des pubs (ouf). Des histoires, des blagues. Des cicatrices amoureuses. Débats surréalistes pour un quotidien ridicule à noyer au Crown (si t'es protestant). Des puzzles existentiels pour mélopées sur l'existence (oui l'existence). Des personnages qui valsent tous azimuts (mentalement/physiquement), et une histoire de mille histoires (c'est le livre ça). Et presque pas de cette sale et lourde Histoire qui gonfle et pourrit Belfast. Presque pas. On est à Belfast. On n'y échappe pas (c'est la réalité ça).
Joyce a laissé ces Gens de Dublin (tu le liras bientôt cher lecteur). Robert McLiam Wilson a balancé Eureka Street dans la mare de la littérature moderne (à draguer).
C'est un de ces romans qui agace par leur perfection trop brillante (un peu comme le Ken de Barbie). Un de ces coups de semonce magistral qui vous laisse bouche bée, la panse travaillée par le rire, la tête retournée par l'étonnement. Car sur la mosaïque, un vernis incroyable (pas la Gomina de Ken). Le style est plein de panache, d'audace, gorgé au vitriol (attention au mélange). Un livre miné par le bon mot, ce sens de la formule renversant qui réunit l'esprit irlandais et le flegme british. Ca grince sur Belfast. (ça pète aussi)
NB1: laisser le lecteur un peu pantois: pas de misérabilisme, pas de lourdeurs narratives tout-ce-que-vous-ne-savez-pas-sur-belfast-et-son-histoire-sanglante, pas d'envolées jugements-politico-historiques-avec-partis-pris-bien-lourdingues. Construction narrative proche de la perfection (Ken), élaboration de dialogues dignes d'un orfèvre (Dostoievski, sors de ce corps), et un chapitre magistral, le 11e. (Tu achèteras ce livre cher lecteur)
La mosaïque est un puzzle muet, qui prend vie sous vos yeux, vous qui vivez à mille lieues de Belfast. Vous passez d'un pan de la ville à l'autre. Vous suivez les murs de séparations physiques ou symboliques (toujours lugubres) qui labyrinthisent la ville. Vous regardez d'un oeil vide les façades bariolées par la haine des deux camps (...). Et puis vous trouvez volontiers refuge chez ces personnages aux vies bizarres (Jake et Chuckie, toi, Ken tu sors), secouées, bousculées par ces questions qui pourrissent tout un chacun (Toutes les histoires sont des histoires d'amour). On exulte. C'est drôle, c'est tendre, c'est intelligent. Ça vous donne des envies de comprendre, ca vous donne des envies de Belfast à vous refaire la façade abdominale en 20 chapitres (conséquence positive d'un rire prolongé sur 400 pages). Prescription gratuite (disponible chez tous les bons/vrais libraires, dans la limite des stocks disponibles).
Eureka Street est un hymne magnifique aux habitants des quartiers populaires de Belfast. On découvre Belfast, on parle Belfast, on rit. Car un jour c'est sûr, on va relire Eureka Street...
(même Ken)
1 commentaire:
Merci Antoine et Manu, vous me donnez des envies de dire fuck au boulot et de lire toute la journee toute la semaine toute la vie!
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