Lorsque Firmin est sorti, c'était en 2009, les 4 par 3 du métro lançaient cette promesse alléchante et insolente "Si lire est ton plaisir et ton destin, ce livre a été écrit pour toi". C'était signé de l'écrivain italien Alessandro Baricco, un illustre inconnu pour beaucoup de gens, mais dont la phrase avait su illuminer les yeux gourmands des dévoreurs de livres. Tout le monde ou presque a parlé de ce livre : émission, articles, partout partout s'affichait le petit rat à bonne bouille et à l'œil hagard.
Oui mais voilà, après l'émulation visuelle, les papilles excitées, les neurones en ébullition, le soufflet est retombé car une fois lue (mais pas dévorée), "l'autobiographie d'un grignoteur de livres" nous laisse largement sur notre faim, déçu, désappointé et ne sachant balancer entre l'amertume de "s'être fait ratisser" (pour ne pas dire pigeonner, Firminisons-nous), et l'agaçement d'un roman qui, par autosuffisance, illusion ou égarement, n'est pas allé aux bouts de son potentiel et de ses promesses.
Premier roman de Sam Savage, homme respectable, au CV et à la tête bien garnis, Firmin nous conte l'histoire d'un rat échoué dans le Boston déclinant des 60's. Petit être né parmi les Grands des rayonnages d'une librairie, il arpente, découvre et s'imagine, mélangeant rêve et réalité, histoires romanesques et quotidien fantasmé.
Etant donné ma réticience à me mettre en avant, il avait carte blanche quant à ma personnalité. Je pouvais être ce qu'il voulait, et j'ai vite compris que, quand il me regardait, il voyait surtout un mignon petit animal un peu idiot et clownesque, quelque chose approchant d'un très petit chien avec les dents en avant. Il n'avait pas la moindre idée de qui j'étais vraiment, de mon scandaleux cynisme, de mes penchant (bien que modérés) pour le vice, de mon génie emprunt de mélancolie ou du fait que j'avais lu plus de livres que lui. [...] Ai-je entendu un gloussement? Vous pensez peut-être que vous m'avez démasqué n'est-ce pas?
Si tu le dis Firmin.
Tout commence pourtant de la façon la plus séduisante et la plus originale qui soit ; les idées de Sam Firmin sont agréables et aiguisées ; les retournements, les projections, sensibles et ravissantes.
Oui mais voilà, rien ne va ni n'avance. On erre dans les pages et dans les chapitres comme comme un rat en peine, perdu dans des égouts littéraires et culturels.
Savage y convoque les grands livres, les classiques de la littérature, mais aussi tout le panthéon des auteurs, des acteurs, des standards musicaux américains, chanteurs et danseurs de comédies musicales ; les clins d'œil jetés à foison jonchent la pensée bavarde de Firmin, petit rat de rien. Car oui, le rat s'avère bien trop bavard. Unique énonciateur du livre, il déblatère et pérore laconiquement.
Si le style, précis, net parfois lumineux, ne participe en rien à cette berezina, il est dommage qu'un animal si sympathique finisse par agacer, non pas pour ce qu'il est, ce qu'il fait ou ce qu'il pense, mais parce qu'on l'a ignominieusement conduit des pièges narratifs et des apories verbales. Perdue dans les longueurs, trop étriquée dans ce roman presque sans personnage, sans paroles tierses et sans dialogue, la voix de Firmin tourne à l'infini, et l'on se lasse. L'impatience des grandes lignes serrées sans action, sans évènement, sans rien, nous plonge dans la pensée mélancolique de ce rat. Les effets sur la réception sont pour le coup réussis. A force de chercher à projeter le lecteur dans le monde onirique et mélancolique de Firmin, on finit par s'y ennuyer ferme.
Mais si l'on juge si sévèrement Firmin, ce n'est pas parce qu'il trône parmi les mauvais livres, loin de là, c'est surtout parce qu'il aurait pu aisément trouver sa place parmi les plus beaux, parmi les favoris de notre bibliothèque.
Firmin, c'est le rat sympathique qui nous aura un peu joué un mauvais tour. Il aurait pu y avoir un belle histoire de mots, un attachement particulier, mais comme dans toute relation, il s'avère que, parfois, cela capote. Firmin aura néanmoins eu le mérite de figurer et de matérialiser l'ennui et la mélancolie, à l'image du sublime livre de l'attente qu'est le Balcon en forêt de Julien Gracq (... que Firmin a sûrement trop lu). Peut-être est-on alors en droit d'accorder à notre petit rat tout notre pardon d'exigeant lecteur.
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