Il est difficile de trouver un écrivain dont le vocabulaire soit plus étendu, plus constamment surprenant, plus vert, et en même temps plus exquisement faisandé, plus constamment heureux dans la trouvaille et même dans l'invention. La substance de la langue, et surtout l'adjectif, qui surgit chez lui non pas colorié, mais imbibé de couleur dans toute sa masse, à l'éclat, l'épaisseur de matière et le feu sourd des émaux cloisonnés.
Et il est difficile d'en trouver un dont la syntaxe soit plus monocorde, plus ressassante, plus indigente et comme délabrée. La phrase procède par à plats d'éblouissantes touches au couteau juxtaposées, que nul lien de relation ou de subordination sérieusement ne cimente. Plus pauvre encore, et comme ataxique, est le cheminement du paragraphe, gauchement scandé par la ritournelle des Puis... Enfin... Et c'était... En somme... qui reviennent concasser le texte de page en page comme les coups de marteau d'un jacquemart. Tout le mouvement lié et souple du discours qui anime un livre, lui donne une pente, un étagement de plans, une perspective, s'est chez lui figé ; ses livres ressemblent à un édifice de pierres rares fracassé par un séisme ; les moellons luxueux, et tout ce qui a pour destination de s'arcbouter pour s'étager en hauteur, gisent à terre côte à côte, comme s'ils ne rêvaient que de retourner à la carrière originelle. Ce sont de somptueux éboulis de livres.
Julien Gracq, En lisant, en écrivant.
Illustration: Rembrandt, le Philosophe
Illustration: Rembrandt, le Philosophe
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