dimanche 30 mai 2010

Salinger & Holden, quarante-huit heures d'un coeur en cavale




Bien sûr, c'est du Catcher in the Rye alias L'attrape-coeurs dont on parle. Quand Salinger a passé l'arme à gauche en janvier 2010, le comité s'est rajouté son chef d'oeuvre - dixit le monde entier - sur sa longue et infinie liste de lecture. Étant donné que le vieux venait de faire la bringue avec Charon et tout, on l'a mis prioritaire. C'est normal. Certains envoient des fleurs avec les condoléances et tout, nous, ben on s'est dit que c'était pas super original, du coup, on a décidé d'engraisser ceux qui ont hérité des droits d'auteurs - et Dieu sait que le Salinger était méfiant pour lâcher la bride à ses babies-, bref on acheté son bouquin, et c'était même pas de la deuxième main. Ben ouais vu l'oiseau, méfiant, secret, p'tre un peu parano, on s'est dit que ses héritiers étaient forcément des gens sympas - car le vieux les aurait déshérité illico, et plumé et tout, p'tre même qu'il aurait vomi du goudron pour les chahuter avant d'éteindre la loupiotte sur son plumard. Mince c'est dingue ce que ce mot plume est évocateur en argot. Bref, on a trouvé que c'était un bel hommage, et pis de toute façon, fallait bien le lire ce fichu bouquin dont tout le monde parle (dixit tout le monde).

Ah oui, fallait vous dire aussi, pardonnez chers lecteurs, ce langage familier et rustre. C'est jusque que son style est fichtrement bien ficelé au gars Salinger, et, sans penser une seule seconde être aussi bon que le môme JD, y faut dire qu'il se laisse emprunter fastoche, ce style. Sympa quoi.

Bon ceci étant balancé, quarante-huit heures et quelques chapitres passés à se balader avec Holden, dans la peau de l'adolescent qui joue l'adulte, c'est sacrément bizarre. Bicause il se passe plein de trucs, bicause surtout parce que ce môme, pour un raté du système scolaire, il pense pas mal. Un vrai chef. Il pense fort et ça cogite juste. Ça parle de sexe, de livres, de canards, d'échec scolaire, de gant de baseball, de prostitution, ça parle même une fois de suicide. Ce qui est extra en plus de ça, c'est que c'est aussi poilant. Bref, c'est quand même drôle de se dire toutes ces choses quand on est adolescent, bicause on est pas adulte, bicause on est plus gamin. C'est pour ça que l'adolescence a toujours fasciné le gars Salinger.

Miss Teenagetime est souvent bizarre, perturbée, faut croire que c'est parce que sa copine Innocence a déménagé. Faut la comprendre. Ça déprime. Y a encore pas longtemps, y avait ce truc magique, ce temps où l'on passait des heures, fascinés et enthousiastes à jouer avec des billes sur une plaque d'égout... Allez comprendre.
Maintenant c'est finit ça. Miss, ben la voilà qui atterrit dans le monde des adultes un peu barges. Comment ne pas se taper la mélancolie avec tous ces malades. Y a de quoi être désenchanté comme y disent là-bas. C'est vrai qu'on déchante. Tous les gens sont bizarres voire carrément maboules, y en a pas un qui soit un tant soit peu normal, avec un peu de jugeotte, y sont tous vraiment déphasés les gens à New York, à quarante-huit heures de Noël et entre onze heures et six heures du matin. Allez comprendre.

Du coup le môme Holden, il fait son paquet, enfile son paletot, enfonce sa casquette à oreillettes, et pis il dit ciao à l'internat de zinzins. Et on le suit pendant ses quarante-huit heures de vacances, avant de rentrer dans ce monde familial aussi lointain que déboussolant. Il pédale le môme Holden, toujours à réfléchir, à analyser ce monde bancal. Et pour un gamin, un ado, est finaud. Il renifle les abrutis à mille lieues. D'un air flegmatique, il se paie leur trogne. La plupart capte pas, les plus malins lui mettent des marrons. Normal.

Il est un peu artichaut aussi, le môme Holden. Toujours à presque tomber amoureux. Les autres filles, ben elles sont souvent un peu cruches, et pas toujours très belles, mais c'est pas grave. C'est pas leur faute faut dire. Les vraies filles qui font que le cœur bat le tambourin, la chamade et tout, c'est celles qui gardent leur dames sur la dernière ligne du damier et pis qui vous prennent la main en balade, comme ça. Extra. Elles, ce sont des vraies ladies, et on est tout artichaut. Allez comprendre.




The Catcher in the Rye, 1951

dimanche 16 mai 2010

Relire Eureka Street (article de propagande littéraire)




Belfast, années sombres.

La mosaïque est d'un camaïeu obscur. De la grisaille, de la misère, des quotidiens démembrés, des vies insipides. Des bombes, des attentats. Des actions terroristes, des groupes paramilitaires catholiques d'un côté, leurs jumeaux protestants de l'autre, l'IRA, l'UVF. Des cathos qui veulent buter des protestants car des protestants veulent buter des catholiques parce que des catholiques veul... Bref. Ça c'est l'histoire. Et puis à côté, un peu oubliée, il y a la vie, dans Belfast.

Justement, voilà un catho et un protestant. Jake et Chuckie. Mais eux, plutôt que d'éclater des rotules chez ceux d'en face, ils préfèrent écluser des pintes, voir des potes, trouver l'amour. On est d'accord, ça peu sembler fadasse. Jake aurait dit insipide. Des personnages qui cherchent à vivre une vie bien banale dans un ville pas banale, ça fait une histoire qu'on qualifiera de tout, sauf de banale. Chuckie serait allé au pub plutôt que de lire cet article bizarre (il serait même déjà dans le pub).

Reprenons. Il y a des potes. Des pubs (ouf). Des histoires, des blagues. Des cicatrices amoureuses. Débats surréalistes pour un quotidien ridicule à noyer au Crown (si t'es protestant). Des puzzles existentiels pour mélopées sur l'existence (oui l'existence). Des personnages qui valsent tous azimuts (mentalement/physiquement), et une histoire de mille histoires (c'est le livre ça). Et presque pas de cette sale et lourde Histoire qui gonfle et pourrit Belfast. Presque pas. On est à Belfast. On n'y échappe pas (c'est la réalité ça).

Joyce a laissé ces Gens de Dublin (tu le liras bientôt cher lecteur). Robert McLiam Wilson a balancé Eureka Street dans la mare de la littérature moderne (à draguer).
C'est un de ces romans qui agace par leur perfection trop brillante (un peu comme le Ken de Barbie). Un de ces coups de semonce magistral qui vous laisse bouche bée, la panse travaillée par le rire, la tête retournée par l'étonnement. Car sur la mosaïque, un vernis incroyable (pas la Gomina de Ken). Le style est plein de panache, d'audace, gorgé au vitriol (attention au mélange). Un livre miné par le bon mot, ce sens de la formule renversant qui réunit l'esprit irlandais et le flegme british. Ca grince sur Belfast. (ça pète aussi)

NB1: laisser le lecteur un peu pantois: pas de misérabilisme, pas de lourdeurs narratives tout-ce-que-vous-ne-savez-pas-sur-belfast-et-son-histoire-sanglante, pas d'envolées jugements-politico-historiques-avec-partis-pris-bien-lourdingues. Construction narrative proche de la perfection (Ken), élaboration de dialogues dignes d'un orfèvre (Dostoievski, sors de ce corps), et un chapitre magistral, le 11e. (Tu achèteras ce livre cher lecteur)


La mosaïque est un puzzle muet, qui prend vie sous vos yeux, vous qui vivez à mille lieues de Belfast. Vous passez d'un pan de la ville à l'autre. Vous suivez les murs de séparations physiques ou symboliques (toujours lugubres) qui labyrinthisent la ville. Vous regardez d'un oeil vide les façades bariolées par la haine des deux camps (...). Et puis vous trouvez volontiers refuge chez ces personnages aux vies bizarres (Jake et Chuckie, toi, Ken tu sors), secouées, bousculées par ces questions qui pourrissent tout un chacun (Toutes les histoires sont des histoires d'amour). On exulte. C'est drôle, c'est tendre, c'est intelligent. Ça vous donne des envies de comprendre, ca vous donne des envies de Belfast à vous refaire la façade abdominale en 20 chapitres (conséquence positive d'un rire prolongé sur 400 pages). Prescription gratuite (disponible chez tous les bons/vrais libraires, dans la limite des stocks disponibles).

Eureka Street
est un hymne magnifique aux habitants des quartiers populaires de Belfast. On découvre Belfast, on parle Belfast, on rit. Car un jour c'est sûr, on va relire Eureka Street...





(même Ken)