dimanche 30 janvier 2011

Une semaine compliquée

En ce dimanche, la Cuillère est désolée. Vraiment désolée.

La Cuillère a cette semaine fait sa tournée des distractions culturelles, prête, comme toujours, à vous livrer son tropisme hebdomadaire, son coup de coeur, son point de vue.
Mais cette semaine, c'est compliqué, vraiment compliqué.

***

La Cuillère a souri devant le dernier Gondry. Juste souri.
Mais délirer sur des "super héros", ça se respecte tout de même.
Quoi encore? oui, elle a soupiré et zappé devant le cas Céline, blablabla, cela n'avait-il pas été tranché depuis longtemps? apparemment non.

La Cuillère a ri de façon alternative devant un Ivanov de Tchekhov dont le texte - génial - souffrait d'une mise en scène emphatique et lourde, mise en scène qui eut au moins le mérite de rappeler à ses oreilles d'aluminium l'autre grande mélodie de Barry Lyndon.
Non non, pas la Sarabande de Haendel, mais le Trio pour Piano et Cordes op. 100 de Schubert. Bouleversant.



La Cuillère a v
u (et revu) avec bonheur (et bonheur) le mutin Banksy dont le docu-trompe-l'oeil croustillant n'a d'égal que cette sensation de lard, d'éléphant ou de cochon qui s'empare de vous à la sortie.
(What the f***?)
On a presque envie de se mettre à la bombe, mais l'on n'oublie pas la morale de l'histoire... c'est quand même pas fait pour tout le monde ces conneries là.



La Cuillère a couru voir JR avant que les dernières sorties ne le boutent hors des salles.
Alors oui, un coup d'oeil brillant sur le monde, mais un coup d'oeil dont l'esthétique tend à supplanter le fond, le sujet.
Un peu dommage quand même car c'est beau, c'est grave ; mais la forme contre le sens et au dessus du sens, le tout sur un registre monocorde, c'est dommage. Une oeuvre, une démarche sociétale et humaniste dont le documentaire rechigne à montrer la forme brute, pure, et belle... en imposant - justement - sa propre forme.
Une forme sur une oeuvre sur une démarche humaniste, c'est beau, mais c'est (un peu) beaucoup.


La Cuillère a passé une soirée délicieuse,, langoureuse, douce, amère et romantique avec Jane Campion et le jeune tourmenté Keats ; ça n'avait rien à voir, mais la Cuillère pensait beaucoup aux poètes malades et amoureux... Il fallait relire les Nuits de Musset, décidément.

La Cuillère a aussi attendu une amie Fourchette chez Gibert Jeune, empoignant dans le auvent réfrigéré le Marie-Antoinette de Zweig. Grignotant les quinze premières pages d'une prose délicieuse en deux coups de cuillère à pot, elle est allée se réchauffer en levant quelques pintes et en pensant très fort au billet à pondre dimanche (ce dimanche!)

***

Et donc désolée, vraiment désolée, mais la Cuillère en ce dimanche ne sait pas trop quoi vous dire, la semaine fut belle et riche, mais difficile d'en tirer quelque chose aujourd'hui.

Alors à vous, pour une fois, de dire à la Cuillère ce qui vous a plu, ému, enchanté, bouleversé, fait rire ou sourire!
A vos claviers ! rendez-lui la semaine prochaine moins compliquée!

Bon dimanche chers lecteurs!

samedi 22 janvier 2011

Cracks, symphonie noire et sensuelle

Certains films, découverts par hasard, sont d'une surprise parfois douloureusement ravissante.
Cracks est de ceux-là.


Cracks est la première adaptation-direction de Jordan Scott, fille de Ridley Scott, nièce de Tony Scott. Comme Sofia Coppola, elle semble vouloir elle aussi emprunter la périlleuse voie du succès des "filles à" (nous en avions déjà parlé
ici).


Derrière le conformisme de sa forme - le topos du film de pensionnat britannique -, Cracks surprend par un tissage méticuleux de tons, de thèmes, de dissonances.
Lentement préparés, doucement déployés, Cracks compose ses stridences dans un va-et-vient de basculements et de paliers.
Alors certes, des thèmes convenus, mais une architecture propre, efficace, une écriture à la fois simple et prenante, une musique à la fois sobre et subtile, une interprétation sincèrement brillante, une photographie léchée et prometteuse.

Cracks nous livre l'histoire d'un huit clos haletant où l'adolescence évanescente s'étouffe et se brise sur les douleurs de l'âge adulte, trouble et maudit. C'est une histoire d'amour, d'amitié, une histoire de jalousie, de haine et de folie. Une histoire sur l'ivresse des promesses, sur les horizons de l'existence, sur la noirceur des destinées. Cracks lève le voile sur ces nymphes envoûtantes et dangereuses. Captives et captivantes, naïves comme un livre de Sade.
Certes, tous les thèmes classiques semblent avoir été listés, questionnés, traités. Du triangle amoureux désir triangulaire, aux références proustiennes sur l'envie, la jalousie, en passant par l'hommage très évident à Diderot, à la ressemblance avec le Cercle des Poètes Disaparus, pour le moins troublante, on finit par éviter de les compter au risque de ne plus vraiment se laisser séduire.
Car ce que l'on retient, c'est que malgré tout, les fils lentement, méticuleusement tissés, révèlent une composition séduisante, juste et troublante.

L'excitation nous taille les nerfs, la vicieuse envie du dénouement nous enivre. On sait, mais l'on suit, avec le délice de la fascination.
Dans l'espace clos où tout aveugle, où les sons s'étouffent, où les consciences s'éteignent, Cracks joue sa petite musique terriblement noire et sensuelle. Au creux des douleurs cachées, les secrets enserrent des monstres difformes et déchirés.
La contemplation de leur laideur, de leur ambiguïté laisse en nous une amertume des plus délicieuse, saupoudrée de ce quelque chose qui erre furieusement entre l'amour, la folie, l'innocence et le désespoir.

Et par dessus tout... ne regardez surtout, mais surtout pas la bande annonce, elle vous gâcherait tout.

dimanche 16 janvier 2011

Pérec, la vie mode d'emploi


"Au départ, l'art du puzzle semble un art bref, un art mince..."

Cela commence comme ça. Ça semble simple, facile. Le ton de l'auteur sûr de lui, sûr de sa force et de sa maîtrise. Attention, cela commence.
Une amplitude magnétique qui vous effraie d'abord, vous transit. Il y a quelque chose de Marcel Proust dans la précision technique, la virtuosité magique de ces mots que l'auteur enfile, encore, encore. Tout doucement, le temps qui prend son temps.

La vie mode d'emploi, c'est une histoire d'histoires, c'est un roman mosaïque, une cathédrale d'existences livrée toute entière à la vue vorace d'un lecteur voyeur.
Un immeuble du 17e arrondissement. Et tous ses habitants. TOUS. Un enchevêtrement inextricable de vies, de frétillements, de faits, d'anecdotes. Rien n'est épargné, la visite est exhaustive, totale, enivrante. Tous les locataires, tous les propriétaires, tous les gens de passages se livrent sous la précision délirante d'un auteur qu'on aura jamais vu si omniscient. Et le temps valse sous les mots, on est brinqueballé, transporté. Des digressions embrassent des ellipses. L'ivresse!

L'auteur de tirer patiemment chaque fil, expliquer chaque histoire, décortiquer chaque existence; des objets qui la molletonnent aux carrefours qui la tiraillent, on vous livre une cathédrale, nue, et transparente!
Dans un vertige incroyable, on saute d'une vie à l'autre, d'une histoire dans une histoire dans une histoire dans une histoire. On ne sait plus trop où l'on va tant il y a à voir, à savoir, à découvrir. C'est un grand bazar de folies guidé par le fil d'une composition magique.

Laissons à la préface l'occasion de vous donner le ton. "L'incroyable richesse qui, d'emblée, s'offre sous le signe de la prolifération par l'insolite pluriel [...]. Ce qui fascine c'est l'espace des quatre-vingt-dix-neuf chapitres, le foisonnement des êtres et la profusion des objets : pas moins de mille quatre cent soixante-sept personnages pour les cent sept histoires répertoriées!
[...]il appartient à chaque lecteur d'investir cet espace, de se l'approprier, de l'apprivoiser, de le rendre, très précisément, habitable. A qui aura accepté de jouer ce jeu, dans la jubilation, le plaisir, l'émotion et la complicité[...]"

C'est un roman de patience, pour des gens non pressés, curieux de tout, de tous les détails de la vie qui semblent si anodins, et sont si importants.
Un auteur virtuose nous laisse hébété face à l'ampleur magistrale de son organisation totale, face à la singularité de ses histoires, de ses énigmes, hébété face à la méticulosité de ses reconstructions, face à l'érudition simple et tendre de ses puzzles d'anecdotes dont la moirure narrative délivre une poésie qui émerveille et brille, comme un conte.

On se balade avec la légèreté d'un flâneur printanier, curieux des autres, de la vie. Et l'on sourit. On a vécu mille vies dans une valse à mille temps.

samedi 8 janvier 2011

Somewhere, déceptions lumineuses

Somewhere était attendu. Peut-être un peu trop.
On espérait de Sofia Coppola une œuvre (enfin) à la hauteur de Lost In Translation.
On attendait, impatient de retrouver ce mélange piquant de lumière et de
beauté. On espérait une pièce mélancolique et somptueuse, une belle histoire, un très beau film. Somewhere était attendu. Peut-être un peu trop.

Somewhere, c'est un bout d'existence recluse, close, déliquescente. Nous suivons Johnny, pris dans l'étau de la solitude, tiraillé par le vide, l'ennui, par quelque chose qui tient du néant. Superstar sans grand génie, pauvre personnage isolé dans son lucre, son luxe et son oisiveté, Johnny se noie dans son univers show off & show biz, boobs & booze, creux et vide, et vide et vain.

Sans adhérer, loin de là, on comprend. On connaît Sofia, alors on comprend ; on suit cette méticuleuse composition transversale, ce tricotage précis, ce thème à épuiser. On comprend oui, mais voilà, il y a quand même devant nous, un film, en soi.


Un film sur la solitude, le spleen, le basculement. Certes.
Malheureusement... c'est un film moins bon que tous les autres, avec un personnage plus creux que tous les autres. Moins intéressant, sans écho, sans grand intérêt, on n'entre jamais vraiment, on y croit jamais, Somewhere n'apporte pas grand chose à l'oeuvre de Sofia, on dirait même qu'elle ôte.

Mécanisme classique. On est déçu, on se souvient : l'écrasement intime et terrifiant des grâces virginales,
le souffle retenu, court, et soupirant de Charlotte, de Bob; âmes en transit, en apesanteur. Même Marie-Antoinette quand on y pense - pour peu que l'on accepte, avec gentillesse, de faire abstraction du délire historique.

On nous l'a survendu le
Somewhere, on nous a bassiné sur le rôle des objectifs doux du Papa utilisés à la pseudo sauce indé par la fille, et avec bien moins de talent que lorsqu'elle prend les siens.
On nous a clamé "la B.O! la B.O"! Oui, on sait avec quel bonheur la charmante Américaine a - jadis - su poser sur ses images les balades enivrantes des Phoenix, Air et autres magiciens du son. Oui mais quelle arnaque! trois mesures au début, un demi refrain au milieu, et le reste fichu au générique. Dans un film si silencieux, l'argument de la B.O est d'une mesquinerie sans nom.
Et doit-on parler du Lion de Venise? Tarentino lui-aussi mériterait d'être alpagué.
Quand on sait tous ces films incroyables qui, dehors, crient sans se faire entendre...

Heureusement, quelque chose estompera notre déception. La lumière, les éclats magiques de certains plans, remplacés par l'atmosphère tamisée, granuleuse, un peu étouffante. Comme une évolution.
Un troc de la musique pour le silence ; pas vraiment prenant, mais qui, rendons lui hommage, a l'avantage de savoir être plus évocateur que mille bavardages de scénaristes.
Et l'écriture, quant à elle, non pas magistrale, mais sobre, avec quelques trouvailles.
On regrette tellement Lost in Translation...

Somewhere, c'est une déception mélancolique, on a perdu l'histoire, l'écriture, et la lumière.
On ressort ni très heureux, ni très amer, avec quand même l'idée en tête que certaines histoires ne sont pas très intéressantes, et que certains réalisateurs, même ceux que l'on estime le plus, devraient parfois savoir s'abstenir.