samedi 16 octobre 2010

Woody, le fils de Freud vieillit

Il existe à peu près trois outils pour décoder, pour comprendre et décrypter les étranges bizarreries de l'être, ses contradictions morales, ses incohérences comportementales. Il y a le dictionnaire (Robert ou médical), les théories de Sigmund, et Woody Allen.
Les deux premiers sont incroyablement utiles, mais lorsqu'on veut se détendre, le dernier nous séduit plus volontiers.

Présentée comme ça, avouons que la tâche est ardue. Heureusement pour nous, Woody est un être productif. Un film par an, ou presque. Bon, d'accord, c'est le minimum pour prétendre rester sur le podium des interprètes de l'âme.

Woody. Formidable conteur d'histoires invraisemblables, rocambolesques, hilares, graves et bavardes, il réussit là où beaucoup nous ennuieraient. Il nous balade et nous enchante avec ses grosses ficelles, il nous captive là où certains se recevraient des potirons, des patates et des tomates. Woody a tout du psychanalyste omniscient, il voit clair dans notre jeu. Il jongle avec nos rires, il nous laisse tendre et mou comme des guimauves. Il nous fait parler par ses personnages, il nous secoue, il nous envoie nos excentricités, nos mensonges, et nos couardises en plein visage. Et c'est pour ça qu'on l'aime.

Woody est né gifted. Un vrai chef. Il maîtrise les mots comme on structure une pièce montée, il domine la recette piégeuse du soufflet humoristique, ses partis pris photographiques, scéniques et scénaristiques se dégustent comme un gourmand dessert. On lui donne volontiers quelques étoiles.
Sa filmographie est une topographie poétique, une étude comportementale : mille lieux charmants, mille personnages et mille histoires comme autant de territoires composant la mosaïque du coeur humain, avec ses méandres, ses cavités obscures, ses illusions, ses comportements stupides, immoraux, tendres ou géniaux. Woody est un guide des plus cruels.

Manhattan, Annie Hall, Shadows and Fog, Hannah, Radio Days, Sweet and Lowdown, Deconstructing Harry, Scoop, Match Point, Vicky Cristina... Beaucoup figurent dans nos panthéons cinématographiques, et cela en dit énormément sur nos vices et nos tropismes personnels.

Woody est prolifique, Woody est spéculaire, Woody est ponctuel.
On le retrouve chaque année avec ce même enthousiasme, cet avant goût délicieux sur les papilles, certain de la qualité de la livraison. Oui, d'accord, on est aussi toujours un peu inquiet (le chef nous réserve parfois quelques mets originaux, bizarres ou difficiles). Quoi qu'il en soit, on part, résolument confiant, à la rencontre de ce sombre et bel inconnu, guilleret, sifflotant. résolument confiant. Après tout, c'est un peu comme un dîner entre happy few.

Une heure et demi plus tard, on rentre chez soi, rassasié, heureux, on a ri, on a grincé. Encore une fois, les extravagants pieds de nez à la réalité nous ont charmé, et l'on pense à ces personnages pitoyables qui souffrent pour nous, pour nous rappeler le miel et le fiel de l'existence.
Sur le chemin du retour, on se dit que c'est un bon woody, comme lorsqu'on juge son assiette à la sortie d'un restaurant. Alors bien sûr, on a connu mieux, mais comme toujours, on y trouve son compte, et c'est l'essentiel. Quoique, attendez, il y avait comme un petit plus. Quelque chose a changé, le goût est différent. C'est une vague saveur de Woody plus tendre avec comme un fumet de sérénité, de plénitude.

La vieillesse s'est insinuée au creux de sa focale. Woody vieillit.
On le sent, on le voit, et cela rend d'autant plus précieux ce cadeau triste et joyeux qu'il nous offre chaque année, pour nous regarder le nombril, rire, pleurer, et réfléchir, au moins un petit peu.

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