dimanche 20 février 2011

Cyrano, requiem de l'esprit français

C'est le livre d'un héros, d'un poète, d'un bretteur, oui le plus fameux.
Une langue bien léchée, un grand cœur lyrique, un regard espiègle, ah! et ce jeu!

Cyrano, le panache érigé en actes et jusque dans les mots.
Cyrano, le grand nez - quelle tirade ! -, l'agile fleuret, la formule piquante, le Verbe pointu, haut, fort, brillant et coloré.
Cyrano, l'amoureux discret, l'adjuvant secret des amours, le généreux justicier, Cyrano. Il condense dans son pourpoint et sous son feutre toute la grandeur - etModifier la décadence - de l'esprit français, sublime et dévoué, fraternel, noble et magnanime, drôle, tendre, irradiant le monde avec la force certaine qu'ont tous les grands archétypes littéraires.

Mais Cyrano, c'est aussi le livre d'un autre temps, celui d'un siècle de Romantiques qui s'éteint, celui d'une France dont la grandeur s'étiole, silencieusement. Ecrit en 1897, le prestige essoufflé, Cyrano est a posteriori l'un des derniers grands requiems à la gloire de l'esprit français.

Et on l'aime cet esprit de naguère !

Celui qui enfile avec boulimie les rimes et les enjambements, celui qui cavale avec alacrité d'une tirade croustillante au bon mot impertinent. Paf! L'estocade! Il va et court, et fend, pourfend, triomphe de la fatuité, de la fourberie, de la débilité ! Une botte, un mot, encore quelques vers et voici la victoire! Combien de duels, de coups et d'estocades enivrent la scène, enflamment le parterre! De la comédie au tragique, de l'hilarité jusqu'aux larmes, c'est le mouvement cathartique d'une âme qui cherche - le temps de quelques actes - son lustre d'antan, sa moelle substantifique, ce qui la rendait belle et magnétique, jalousement enviée, prodigieusement respectée.


"Mais que diable allait-il faire, Mais que
Diable allait-il faire,
Mais que diable allait-il faire en cette galère?...
Philosophe, physicien,
Rimeur, bretteur, musicien,
Et voyageur aérien,
Grand risposteur du tac au tac,
Amant aussi - pas pour son bien! -
Ci-gît Hercule Savinien
De Cyrano de Bergerac
Qui fut tout, et qui ne fut rien."

Et quand l'on murmure l'épitaphe, l'on repense avec raison, à cet esprit français qui se délite, en témoignent l'affiche, le film, le clip terriblement désespérés d'une marque qui cherche à réincarner l'acte et le pourpoint d'une équipe, non de Gascons, non, mais de garçons, arrogants, vides et sans clairon, et sans esprit, et sans raison.
On louera l'initiative de l'ultime récupération : masquer sous la tirade sublime les actes vaniteux. En avait-elle le droit? A vous de dire... La tirade est belle, en tout cas.




Requiem à toi l'esprit français, gardons de ta grandeur la botte, le nez, le jeu de Cyrano, délectons-nous des passes, des mots, et Adieu!


"Que dites-vous?... C'est inutile?... Je le sais!
Mais on ne se bat pas dans l'espoir du succès!
Non! non, c'est bien plus beau lorsque c'est inutile!
-Qu'est-ce que tous ceux-là? - Vous êtes mille?
Ah! je vous reconnais, tous mes vieux ennemis!
Le Mensonge? (il frappe de son épée le vide)
Tiens, tiens! - Ha ! ha! les Compromis,
Les Préjugés, les Lâchetés!... (il frappe) Que je pactise?
Jamais, jamais ! - Ah te voilà, toi, la Sottise!
- Je sais bien qu'à la fin vous me mettrez à bas ;
N'importe : je me bats! je me bats! je me bats!
(Il fait des moulinets immenses et s'arrête haletant.)
Oui vous m'arrachez tout, le laurier, et la rose!
Arrachez! Il y a malgré tout quelque chose
Que j'emporte, et ce soir, quand j'entrerai chez Dieu,
Mon salut balaiera largement le seuil bleu,
Quelque chose que sans un pli, sans une tache,
J'emporte malgré vous,
(Il s'élance l'épée haute)
et c'est...
(L'épée s'échappe de ses mains, il chancelle, il tombe)
Mon panache."

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Sympa ton article. Plus réussi que d'autres initiatives culturelles malheureuses, émanant d'HECs que l'humilité n'étouffe pas.

Cette pub de Nike est géniale, bien qu'affaiblie par une voix off maladroite. N'empêche que j'aurais aimé avoir l'idée. (Digne d'un Donald Draper).

Cyrano requiem? Pourquoi pas. Et Jean-Luc Mélanchon en nouveau Cyrano, t'en penses quoi?

Salutations des fjords,

Arnaud D.