vendredi 15 janvier 2010

Au commencement était la cuillère

Il existe toujours un propos liminaire, une introduction, un acte fondateur à toute chose. Mais n'ayant ni la prétention d'écrire une genèse digne de ce nom pour baptiser ce blog, ni l'assurance de posséder une fonction phatique(1) assez puissante pour agripper des lecteurs égarés, nous dirons "Au commencement était la Cuillère"...

Oui, mais pourquoi la cuillère?

La cuillère, c'est un peu le premier objet de l'humanité.

C'est le premier objet inventé et manufacturé par l'homme. Ou presque.
C'est la première trace, le premier signe de l'imagination humaine, bon, en deuxième ou troisième place, après les peaux-habits, les pointes et tranchants. Oui on pense à la survie avant de penser à l'agrément. Mais tout de même! Pensez-y! (hop, un zeste de fonction phatique) Cette petite cuillère, c'est le premier objet domestique, le premier ustensile du foyer, la première babiole de l'intérieur, témoin de la tranquillité clanique et du plaisir gastronomique! Il n'y a que lorsqu'on a le temps pour manger et vivre qu'on pense à la cuillère. Étant passé de la survie à la vie, on peut dire que l'homme, par la subtile attention portée à son estomac, est devenu un homme.

Et cette cuillère, c'est le premier résultat d'une matière sublimée par l'esprit de l'homme: et n'appuyons pas encore ici sur la richesse étymologique du terme (sublimare : élever, exalter, glorifier, voire - avec beaucoup de conviction - y pourrait-on en tirer un sub-limens(2), mais alors avec beaucoup de conviction)...
La cuillère, c'est la première (ou deuxième ou troisième) transfiguration d'un os de mammouth. Enfin, (et arrêtons d'ergoter sur les classements et l'origine du premier des premiers), cette fameuse et belle petite cuillère, c'est tout de même le premier totem de la tribu humaine!

La cuillère donc.
Sous ses sonorités cassantes, amères, peu entreprenantes, guère attirantes, se cache une petite forme magique, un contenant pratique. Il y a ses frères et soeurs (couteau et fourchette), il y a ses cousines (dont sa charmante cousine anglaise aux formes phoniques ondulantes, séduisantes... Miss Spoon est un amour) ; mais dans toute la famille, c'est la cuillère qu'on préfère. Le couteau a quelque chose d'agressif (allez savoir pourquoi), la fourchette ressemble trop au harpon à bison laissé dans l'entrée de la grotte), reste donc la cuillère, paisible et inoffensif objet au service de nos orgies gastriques et gustatives.

Au delà donc de sa belle sonorité anglophonique, et de son utilité primaire (c'est le complément du hochet quand vous êtes bambin, déjà prisonnier du panem circensesque(3), vous vous rendez compte!), la cuillère, c'est la petite bouchée raisonnée, raisonnable, celle qui vous fait déguster, qui glisse sous votre palais des soupçons de bonheur et d'extase.

La Cuillère d'Aluine vous propose ainsi de goûter parcimonieusement ou de dévorer pantagruelliquement les petits plaisirs que nous offrent les livres, les mots et tout ce qui gravite autour.

Nous nous engageons à parler médiocrement, à nous tromper, à errer, à nous-vous égarer, à suggérer, à esquisser, à flâner et à voyager. Comme à la cantine de notre enfance, nous ferons tourner la petite cuillère dans tous les sens, vers de nombreux possibles, de lointains horizons, et nous espérons que vous y trouverez quelque chose, sinon un peu plus que rien du tout.

Bonne lecture!

Le Comité de la Cuillère





(1) fonction phatique: expression forgée par Roman Jakobson pour désigner "des messages qui servent essentiellement à établir, prolonger, ou interrompre la communication, à vérifier que le circuit fonctionne ("Allô, vous m'entendez ?"), à attirer l'attention de l'interlocuteur ou à s'assurer qu'elle ne se relâche pas... », c'est "la tendance à communiquer (qui) précède la capacité d'émettre ou de recevoir des messages porteurs d'information ». C'est donc l'ensemble des pratiques linguistiques qui constitue le milieu bon conducteur de la communication linguistique. C'est une fonction très utilisée dans les écrits épistolaires. (adaptation de l'article Wikipédia)

(2) sub-limens : racines étymologiques à l'origine du mot subliminal, c'est un terme vulgarisé par le psychologue anglais F. W. Myers vers la fin du xixe s., (1892, The subliminal consciousness, Proceed. of the Soc. for psychical Researches), forgé à l'aide de l'élém. sub- marquant l'infériorité et du lat. limen, -inis « seuil », comme calque de l'all. Unter der Schwelle s.-ent. des Bewusstseins « au-dessous du seuil de conscience » employé par Herbart (Psychol. als Wissenschaft 1824, I,47 ds NED). Se définit donc comme suit « au-dessous du seuil de sensation ou de conscience ».
(adaptation: http://www.cnrtl.fr/etymologie/subliminal)

(3) panem circensesque: expression (également connue sous la forme panem et circenses) forgée par le poète satirique latin Juvénal (fin 1er et début du 2e siècle de notre ère), elle était destinée à mettre en lumière la manipulation de la plèbe par les empereurs.

Source : Decimus Iunius Iuuenalis (Satire X - extrait)
«Mais que font donc tous les enfants de Rémus ? Ils adhèrent au succès, comme toujours, et ils maudissent ceux qui ont perdu la partie... Ce même peuple, depuis qu'il n'y a plus de suffrages à vendre, se désintéresse de tout ; lui qui jadis disposa du commandement, des faisceaux, des légions - enfin de tout, il n'a plus d'ambitions, il n'éprouve plus qu'un double désir passionné : du pain et des jeux !»

Et pour les latinistes...
«Sed quid turba Remi ? Sequitur fortunam, ut semper, et odit damnatos... Idem populus, iam pridem, ex quo suffragia nulli uendimus, effudit curas ; nam qui dabat olim imperium, fasces, legiones, omnia, nunc se continet atque duas tantum res anxius optat, panem et circences !»



1 commentaire:

Emmanuelle a dit…

"-Je lui arracherai le coeur à la petite cuillère!
-Pourquoi à la petite cuillère? pourquoi pas au couteau?
-Parce que moins c'est tranchant, PLUS CA FAIT MAL!!"
MMOUHAHAAAA!!!!!