dimanche 12 septembre 2010

Maupassant, polissons et cabotins

Cher Guy,

Assieds toi, oui prends ce tabouret! On va parler. Attends, attends, je te commande un bock, ça te va n'est-ce pas?
A la bonne heure! Pochardons-nous un tout petit peu. Allez qu'importe! de toute façon c'est dimanche!

Bon, je viens de relire un petit pan de ton œuvre - diable que tu es fécond ! Alors oui, j'ai parcouru les sempiternels Horla, Contes fantastiques et autres joyeusetés morbides, mais j'aimerais aussi que l'on reparle de toutes ces choses charmantes que tu as pondues. Bigre, ce n'est pas rien. Cette autre facette, brillante, joyeuse, mondaine et amoureuse est au moins aussi importante que la première! Et l'on en parle malheureusement pas assez. Pourtant cette petite pellicule cabotine recouvre plutôt bien ta bonne vieille carcasse obscure. Au diable les choses qui fâchent, je déteste froncer les sourcils.

Mon bon Guy, quel coquin tu fais! Tu es un vrai modèle. Que de facilité pour cueillir l'ivresse et faire sourire ces dames. Quel serin je fais, moi, quand je vois toute l'adresse et le génie que tu emploies, en artiste! Quelle énergie déployée pour festoyer, charmer, aimer, croquer ces portraits bruts et vigoureux!
Il y a les imbéciles dont on se moque bien, les canailles libertines, les veuves à la sève éveillée, les dandies de ministères, les cocottes, les cocus solennels, avec leur femme dans une pièce, riant, trinquant avec l'amant dont ils viennent chaleureusement de serrer la main. Et la maîtresse qui n'est jamais loin, dans une autre pièce, derrière un rideau, alanguie dans un fiacre, attendue dans la légendaire garçonnière de la rue des Martyrs.
D'ailleurs, quelle rue! Parlons en ! Dans chaque roman, dans chaque nouvelle, dans chaque récit, elle figure et trône. Quelle galerie des glaces! Quel défilé d'amants, que de maris désolés, de femmes en fièvre et de filles en affaire circulent dans cette étroite et petite rue! Ma foi, tu en as faits des embouteillages amoureux!

La conquête des femmes est la seule aventure exaltante dans la vie d'un homme.
Ah ! c'est dit! Cher Guy, tu as tout du chenapan fripon.

Derrière ces mots couvés, à demi montrés, quelle sensualité, quelle polissonnerie tu nous contes. Et je ne parle même pas des Contes grivois! J'aime tes sympathiques impudeurs littéraires qui suggèrent et dévoilent. Tes Récits parisiens en sont gorgés, ils en deviennent, du coup, particulièrement savoureux. Il y a cette bonne âme qui dans son Aventure parisienne, "doucement, rougissante comme une vierge" susurre à l'amant d'un soir "J'ai voulu connaître... le... le... vice". Il y a l'épouse du Souvenir, tyrannique avec l'époux, aguicheuse avec le passant flâneur. Renvoyant le pataud mari, s'arrêtant dans un cabaret de bord de route, et le narrateur d'oser "prendre un cabinet particulier". "Elle se grisa, ma foi, fort bien [...] fit toute sortes de folies... et même la plus grande de toutes". Et oui ! bonheur de l'inconnu qui passe!
Et dois-je parler des petits vieux d'Au Bois retrouvant la vigueur gauloise de leurs premiers printemps! Les parties dans les fougères! Ah mon cher Guy, tu mêles à l'audace la vérité d'un siècle et la vigueur d'une phrase éclatante. Alors santé! Trinquons au badinage!

On ne les connait vraiment pas assez, ces petites nouvelles serrées où fourmillent, certes les malheurs, mais aussi les mille amours d'une capitale pleine d'envie.

Cher Guy, vous êtes un maître! et tous les polissons et cabotins du monde bénissent chaque jour la vérité coquine que vous insufflez dans la vie de vos chapitres. Prenez les audaces de Duroy, les bonhommies de Forestier, et les minauderies d'une Madame de Marelle grisée par le champagne. Voyez les doux sourires de Madeleine. On frôle presque l'échangisme verbal dans ce quatuor plein de fougue "plongé dans un bain d'amour".
Et comme vous y allez, cher Guy!
"Les deux femmes, maintenant, en lançaient de roides. Mme de Marelle avec une audace naturelle qui ressemblait à une provocation. Mme Forestier avec une réserve charmante, une pudeur dans le ton, dans la voix, dans le sourire, dans toute l'allure, qui soulignait, en ayant l'air de les atténuer, les choses hardies qui sortaient de sa bouche". Longue vie à ces femmes, "un peu choquée[s] par la forme et pour la forme", qui, comme les liqueurs enivrantes, "versent dans les esprits excités un trouble plus lourd et plus chaud".

Merci cher Guy, nous autres, polissons et cabotins, te devons vraiment beaucoup.


***


Références:
- Bel Ami
, chapitre 5
- Contes Grivois
- Récits Parisiens : Au Bois, Souvenir, Aventure Parisienne

Peintures:
Ingres, Une odalisque, 1867
Gervex, Rolla, 1878 (en référence au poème d'Alfred de Musset)

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