mercredi 13 avril 2011

Never let me go, le renoncement poétique

La Cuillère ne parlera pas ici du livre de Kazuo Ishiguro, talentueux écrivain anglais d'origine japonaise, mais de l'adaptation cinématographique de Mark Romanek.

On dira que c'est une histoire facile. Une histoire parfaitement ciselée, façonnée pour émouvoir et bouleverser. On pourrait être agacé, et renoncer. Avant même d'avoir fini la bande annonce, on sait tout ce qu'il faut savoir. Mais comme parfois, lorsque la bande annonce raconte tout, l'essentiel est ailleurs.

Tout commence dans une campagne anglaise, fin des années 70. L'uchronie d'un monde où l'on parque des enfants dans un locus amoenus, un paradis idyllique.
On les parque les enfants, oui, en attendant de se servir. Car les enfants ne sont rien, rien d'autre qu'une banque à organes, qu'un amas de corps transitoires, porteurs de pièces thérapeutiques et détachables. Mais pas de sang, pas de violence, pas de terreur, juste le temps qui s'écoule, inexorablement, jusqu'au jour où l'on viendra se servir. En attendant on parque les enfants.
Et en voici trois, Kathy, Tommy et Ruth, formant le triangle girardien ; trois enfants au destin entrecroisé, à l'existence suspendue, perdus dans un renoncement intérieur, une étrange gratitude.

Au delà de la belle alchimie narrative, c'est la toile transparente du temps que l'on sent se resserrer sur ces êtres éphémères. Uchronie sans action, sans révolte, sans révolution, pas de fuite. Dans l'étouffante résignation, un renoncement accablant qui laisse pantois. Par delà cette méditation offerte sur le sens des existences, sur la fatalité des vies dont le sens et la valeur ne sont plus, des chairs condamnées, des âmes innocentes, indolentes, bizarrement passives, sans sursaut, sans hoquet de vie. Comme déjà vidées de leur substance.

La grammaire visuelle éblouissante - peut être trop - résonne sur l'abomination de la modernité éthique. Que faisons-nous de l'existence... Dans la lumière mélancolique qui forme la chrysalide et le linceul, une violence psychologique rare, des corps dont on a oublié jusqu'aux palpitements des âmes.

Alors dans ces murmures de perfection, on questionnera cette volonté du plan parfait, de la lumière magnifiquement léchée qui parfois dissimule d'un voile de beauté un sujet lourd et trop lointain. Face à cette violence trop psychologique, on piaffe, on s'agace des retranchements dramatiques, trop intérieurs. Mais la mécanique est subtile, exacte, car face au renoncement, c'est bien notre pitié rousseauiste qui s'écrie.

Dans ce monde d'ombres lumineuses et résignées, on soulignera le jeu et la justesse impressionnante de Carey Mulligan (An Education), à découvrir ou à redécouvrir ici, bouleversante.

Face à ce regard en biais sur le basculement médical opéré dans les années 80 et 90, une méditation profonde et bouleversante sur le sens de la vie, sur le basculement, le renoncement. Et nimbée dans une pellicule élégante et poétique, l'illumination nous laisse vibrant, écorché, oui, comme un être transitoire, éphémère, condamné.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Ce film est mon coup de coeur de l'année. Une belle fable. A regarder ou à lire absolument !

La Cuillere a dit…

Un film effectivement touchant, et troublant!