dimanche 1 mai 2011

La Dame aux Camélias, le naturalisme romantique

Je n'aime guère le talent de M. Alexandre Dumas fils. C'est un écrivain extrêmement surfait, de style médiocre et de conception rapetissée par les plus étranges théories. J'estime que la postérité lui sera dure.
(Émile Zola, 1876)

Zola aura eu raison. Le temps réserve le droit à la postérité.
Qui, aujourd'hui, pourrait citer quelque chose de ce bâtard devenu dandy, et dont la fortune fut portée par deux hasards des plus heureux : un nom tardivement acquis, un chef d'oeuvre précocement composé?
Mais avouons-le, Zola, comme souvent trop certain de sa force, de son génie, s'éblouit au point de ne daigner accorder aux autres le quelconque bénéfice d'un éphémère éclat.
Avouons-le, quoiqu'en pense Zola, Dumas fils en aura eu un : La dame aux camélias. Verdi, plus inspiré, en aura tiré avec profit sa Traviata, il aura, lui, gagné la postérité.

***

Cette Dame, c'est le livre d'une "théorie des plus étranges", d'une autobiographie des plus sincères. L'amour irrésistible d'un homme de bien, ni riche, ni pauvre, pour une femme dont le lustre n'a d'égal que la dépravation. Pour l'un l'enfer de la jalousie, du désir de posséder. Pour l'autre le paradis pavé par le lucre et la luxure, mais l'enfer d'une aliénation du corps et de l'existence. Armand, le naïf, Marguerite, la courtisane. Entre eux le décompte du temps qui donne, et reprend.

Dans un style que l'on qualifiera de tout sauf de "médiocre", l'auteur disserte de l'amour moderne, celui qui s'affiche sous ses yeux et devient la norme d'un monde étouffant.
L'amour, oui cet amour, celui qui trempe le soir dans la fange la plus vulgaire de la prostitution mondaine, de la courtisanerie affichée, pour s'ébrouer célébré le lendemain dans les théâtres, les opéras. L'amour, délicieux sujet.

Parlons en de cet amour! Amer du 19e, oui, cet amour amer, que l'on glorifie à tout va chez nos idéalistes romantiques, il s'écarte parfois (souvent) de ces destinées trop parfaites, et tombe dans un drame au réalisme des plus poignants. Zola l'a disséqué, Dumas fils l'a délicatement posé dans son linceul.
Car l'amour n'est qu'un sentiment sacrifié, un luxe effacé dans un monde impitoyable. Et Paris qui charrie ces destins de filles à exploiter, à entretenir, à utiliser jusqu'au fanage ultime, jusqu'à l'asséchement de la beauté. Et dans ce Paris qui suce le sang, qui monnaie la peau et l'os, l'amour, toujours, amer, naïf, sincère.

Dans ce style aux atours naturalistes, l'éclat suranné de l'esprit romantique, résigné.

Derrière la pudeur stylistique, cette grandeur de l'élocution précieuse, haute et magistralement tenue comme seul le 19e savait le tenir, la cruelle réalité d'un monde où l'argent, le besoin de parvenir ou d'étinceler, même furtivement, pour exister, et compter, coudoie la question de la sincérité.
La Dame aux Camélias nous pose bien en face la question très contemporaine du choix, du sacrifice. Entre valeurs d'intégrité, et grandeur de réussites, entre valeur, et vanité, s'étend le vaste empire d'une composition littéraire magistrale.

L'amour s'aliène-t-il comme le corps se possède? Le succès s'achète-t-il comme un bouquet que l'on fauche?
Franc comme une confession, froid comme un réquisitoire, Dumas fils nous livre son monde, et nous, dans ce miroir, nous regardons nous-mêmes.

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