dimanche 21 mars 2010

Ecrire


La solitude de l'écriture c'est une solitude sans quoi l'écrit ne se produit pas, ou s'il s'émiette exsangue de chercher quoi écrire encore. Perd son sang, il n'est plus reconnu par l'auteur.
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Il faut toujours une séparation d'avec les autres gens autour de la personne qui écrit les livres. C'est une solitude. C'est la solitude de l'auteur, celle de l'écrit. Pour débuter la chose, on se demande ce que c'était ce silence autour de soi. Et pratiquement à chaque pas que l'on fait dans une maison et à toutes les heures de la journée, dans toutes les lumières, qu'elles soient du dehors ou des lampes allumées dans le jour. Cette solitude réelle du corps devient celle, inviolable de l'écrit.
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C'est curieux un écrivain. C'est une contradiction et aussi un non-sens. Écrire c'est aussi ne pas parler. C'est se taire. C'est hurler sans bruit. C'est reposant un écrivain, souvent, ça écoute beaucoup. Ça ne parle pas beaucoup parce que c'est impossible de parler à quelqu'un d'un livre qu'on a écrit et surtout d'un livre qu'on est en train d'écrire. C'est impossible. C'est à l'opposé du cinéma, à l'opposé du théâtre, et autres spectacles. C'est à l'opposé de toutes les lectures. C'est le plus difficile de tout. C'est le pire. Parce qu'un livre, c'est l'inconnu, c'est la nuit, c'est clos, c'est ça. C'est le livre qui avance, qui grandit, qui avance dans les direction qu'on croyait avoir explorées, qui avance vers sa propre destinée et celle de son auteur, alors anéanti par sa publication: sa séparation d'avec lui, le livre rêvé, comme l'enfant dernier-né, toujours le plus aimé.

Un livre ouvert c'est aussi la nuit.

Je ne sais pas pourquoi, ces mots que je viens de dire me font pleurer.



Marguerite Duras


Extraits du recueil Écrire, 1993

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